De la fécondité naturelle au contrôle des naissances. La contraception de l’époque moderne au XIXe siècle en France

L’histoire vraie de Croc-Mitaine / Félix Lochard.- Paris : Ligue de la régénération humaine, 1906.- Lithographie (CIRA de Lausanne)
De la pratique du coïtus interruptus à l’utilisation de la redingote anglaise
Durant l’époque moderne, il existait trois freins à la fécondité, qui étaient l’âge tardif au mariage, les modes et la durée d’allaitement et le niveau de mortalité général des adultes. Il semble que l’avènement de la contraception fut tardif, notamment dans les campagnes. Néanmoins, de nombreux théologiens, dès le XVIe siècle, dénoncèrent des pratiques qui détournaient l’acte conjugal de la procréation, comme le coït interrompu et le crime d’Onan (la masturbation), qui étaient considérés comme des péchés mortels. L’Église ne tolérait qu’une seule pratique de limitation des naissances, la continence dans le mariage. Les historiens admettent communément que la restriction volontaire des naissances commença dès 1770 ou même dès 1740, et ils évoquent à ce propos le célèbre témoignage de Moheau qui écrivit en 1778, dans ses Recherches et considérations sur la population de la France : « Les femmes riches pour qui le plaisir est le plus grand intérêt et l’unique occupation ne sont pas les seules qui regardent la propagation de l’espèce comme une duperie du vieux temps ; déjà les funestes secrets inconnus à tout animal autre que l’homme ont pénétré dans les campagnes : on trompe la nature jusque dans les villages. »
Le début du XVIIIe siècle vit l’apparition du condom (du verbe latin condere qui signifie mettre en sûreté, cacher), aussi appelé redingote anglaise. Ce contraceptif ne fut guère utilisé que par les prostituées et par quelques grands libertins. C’est avec la découverte du caoutchouc en 1843 que le condom, initialement fabriqué en intestin d’agneau, connut une plus grande diffusion.
« Permettez-nous sans concevoir de pécher » (Alexandre Boutique, Les Malthusiennes, 1894)

Essai sur le principe de la population / Thomas Robert Malthus ; traduit de l’anglais par P. et G. Prevost.- Paris : Guillaumin, 1845 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, FD 1486)
Le recours à la contraception s’accrut à partir de 1875 : on constate en effet que, malgré l’accroissement du nombre de mariages, le nombre de naissances était en baisse. Plusieurs facteurs expliquent les pratiques de limitation des naissances, parmi lesquelles se trouvent non seulement des motivations socio-économiques, afin d’éviter le morcellement du patrimoine, mais également la diffusion du néomalthusianisme. Ce mouvement, issu de l’Essai sur le principe de population du pasteur Thomas Malthus rédigé en 1798, prônait un contrôle des naissances dans le but de régler les problèmes de pauvreté, et non comme un simple moyen de limiter la taille des familles. En France, Paul Robin fonda en 1896 la Ligue française de la Régénération humaine et participa à la diffusion des moyens contraceptifs comme le diaphragme, l’éponge pour absorber la semence, le condom. Bien que les mouvements néomalthusiens ne prissent pas position concernant l’avortement, celui-ci fut considéré durant tout le XIXe siècle comme un moyen contraceptif par les femmes qui y avaient recours. C’est au XXe siècle que certaines féministes, telles que Nelly Roussel ou Maria Deraismes, commencèrent à prôner le recours aux moyens contraceptifs comme une possibilité pour les femmes de vivre librement leur maternité, comme elles l’entendaient.
« La maternité, consciente et volontaire, sera plus sublime encore ! Ayant cessé d’être une obligation et une fatalité, elle deviendra une gloire pour celles qui l’accepteront librement comme une mission supérieure et sacrée, comme une espèce de sacerdoce, entouré de tous les hommages. »
Nelly Roussel « L’Église et la maternité », dans L’Action, 6 décembre 1904
Héloïse Morel