L’avortement de l’Ancien Régime au XIXe siècle en France
De l’acte pratiqué en secret…
Il est difficile de chiffrer l’importance des avortements durant l’époque moderne. Néanmoins, quelques témoignages et dénonciations de l’Église attestent de sa pratique diffuse tout au long de l’époque moderne. Bien que pratiqué par des couples mariés, l’avortement était surtout le fait des couples extra-conjugaux ainsi que des prostituées, de la courtisane à la fille de joie.

Flora Parisiensis / Pierre Bulliard.- Paris : Piere-François Didot, 1776-1783 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, 31223)
Plusieurs méthodes étaient employées pour mettre un terme à une grossesse indésirable. Parmi elles, les breuvages faits avec des plantes abortives comme la rue, la pomme de coloquinte, la safran, le soufre, la sabine, l’armoise, etc. Dans les campagnes, cette pratique était celle des guérisseurs et des sages-femmes ; en témoigne le soin avec lequel les curés faisaient prêter serment aux futures sages-femmes de ne pas utiliser leur savoir-faire à des « fins criminelles ». Parfois ces mélanges se révélaient être de puissants poisons. Ainsi, Tallemant des Réaux raconte comment Marion de Lorme se fit avorter de nombreuses fois et y succomba en 1650 après avoir absorbé « une trop forte dose d’antimoine pour se faire vider ».
En cas d’échecs de ces potions, les femmes utilisaient des manœuvres corporelles : porter de lourdes charges, courir pendant longtemps, tomber de haut, se suspendre par les bras, secouer le ventre ou lui donner des coups.

Traité des matières criminelles / Guy du Rousseaud de La Combe.- Paris : Théodore Le Gras, 1768 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, PJm 47)
Bien que condamné à plusieurs reprises par l’Église et l’État, l’avortement fut peu réprimé sous l’Ancien Régime. En témoignent les propos d’un juriste en 1780 : « ces crimes [d’avortement], quoique très fréquents ne sont point poursuivis ni punis publiquement parmi nous, à cause de la difficulté qu’il y a d’en convaincre les coupables, la grossesse des femmes pouvant n’être qu’apparente, et son interruption provenir de différents accidents aussi bien que de la Nature. »
… à l’acte réprimé

Code pénal. Bulletin des lois, n° 113 bis.- Paris : Imprimerie royale ; Rondonneau et Decle ; Ménard et Desenne ; et chez les autres libraires, 1816 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, FAP 2645)
C’est au XIXe siècle que sa pratique fut plus sévèrement réprimée avec l’article 317 du Code pénal (1810), qui rompit avec celui de 1791, qui ne prévoyait aucune peine à l’encontre des femmes avortées. À partir de ce moment, furent condamnées non seulement les femmes qui avaient eu recours à un avortement, mais également les personnes qui avaient administré ou indiqué des moyens pour avorter. Cet article répressif fut seulement révisé en 1923. De plus le pape Pie IX déclara en 1869 que l’avortement était passible d’excommunication.
Paradoxalement, malgré la répression, le nombre d’avortements augmenta dans l’ensemble de l’Europe au XIXe siècle, et ce avec l’évolution des techniques abortives comme les méthodes mécaniques et les sondes intra-utérines. La fin du siècle vit naître des critiques à l’encontre de l’article 317, avec notamment la publication en 1882 de l’opuscule d’Adolphe Spiral, dans lequel il démontre que l’avortement n’est pas un crime, et également avec la création du mouvement néomalthusien en France en 1896, sous l’impulsion de Paul Robin. Les revendications pour le droit à l’avortement étaient alors discrètes et le fait de quelques personnes, comme le médecin Madeleine Pelletier. Si la fin du XIXe siècle fut le moment liminaire de ces revendications, le XXe siècle fut celui d’un engagement plus affirmé.
Héloïse Morel