L’enfance enjeu social au XIXe siècle

La Marche des petits patriotes / E. Bericourt ; G. Orrebow. – Paris : Boissier, 1789.- Eau-forte (Gallica bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)

Médailles d’honneur d’or et de 1er mérite. Biberon-Robert.- Franc, 1882 (Gallica bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)
La gestion de l’enfance devint une affaire publique
Le XIXe siècle fut une époque charnière dans l’évolution des attitudes à l’égard de l’enfance, qui se dessinait peu à peu comme un âge ayant ses caractères propres. L’enfant, de plus en plus perçu comme un individu ayant ses spécificités, était sollicité à tous les niveaux de la société. Au sein de la famille, il faisait l’objet d’un investissement croissant de la part de ses parents. Plus généralement, il devint progressivement l’affaire d’un domaine public qui multipliait les interventions en sa faveur. Des institutions étaient créées pour lui, surtout par des philanthropes dans un premier temps. Puis par l’État, qui voyait en lui un représentant des forces productives, mais aussi démographiques et militaires de la nation. Et si l’autorité du père fut remise en cause seulement à la fin du siècle, avec la loi sur la déchéance de la puissance paternelle (1889), il faut noter que la loi qui marqua la première intervention de l’État dans le secteur privé de la production et l’organisation des conditions sociales fut la loi limitant le travail des enfants de 1841.
L’enfant objet d’étude

Ferdinand de Lesseps et ses enfants sur un cabriolet tiré par un cheval / J. Delton.- Photographie (Gallica bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)
L’enfant devint aussi un objet d’étude privilégié. De la part des scientifiques et des médecins, qui contribuaient à prendre en compte le corps de l’enfant en tant qu’être spécifique, en s’intéressant particulièrement aux nourrissons et aux enfants « idiots ». Mais aussi de la part d’éducateurs et de juristes qui se penchaient sur la question de « l’enfance coupable » et sur celle de « l’enfance en danger ». Tous participaient progressivement à un mouvement continu d’institutionnalisation des différents territoires de l’enfance et faisaient de celle-ci un véritable champ d’action.

Arrestation d’un enfant / Agence Rol, 1907.- Photographie de presse (Gallica bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)
Un siècle de l’enfant… ambivalent
Certes le XIXe siècle présente aussi de nombreux contrastes. Il existait une grande distorsion entre le statut de l’enfant et ses conditions de vie sous la Restauration et à la fin du siècle, celle-ci marquant des progrès notoires dans bien des domaines, en particulier ceux de la santé et de l’alphabétisation. Ce siècle fut également fascinant par ses paradoxes. Car si une grande sollicitude s’y est exprimée à l’égard de l’enfant, le développement du malthusianisme, l’exceptionnelle mortalité infantile ou encore les conditions de vie des « enfants de fabrique » montrent aussi que cette époque entretenait un rapport très ambivalent avec les enfants.

La République instruisant les enfants / Courtois.- Domnec, 1848.- Lithographie (Gallica bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)
L’enfance au cœur des débats politiques

Colonie de Mettray / A. Thierry.- Lithographie (Bibliothèque numérique de l’INHA – Service des collections de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts)
Malgré le caractère ambigu de la place de l’enfant dans la société du XIXe siècle, celui-ci n’en fut pas moins marqué par un intérêt croissant de la société pour lui et par l’émergence de la figure enfantine dans ses différentes sphères. L’enfance représentait alors un enjeu idéologique majeur au XIXe siècle. Durant toute cette période, les forces politiques et sociales présentes s’affrontèrent sur des questions qui mettaient en jeu aussi bien leurs représentations de l’enfance que leurs visions du statut de l’enfant dans la société. L’Église catholique tentait de conserver la mainmise sur l’éducation du peuple qu’elle avait eu durant les siècles précédents et s’opposait à l’État laïc. Celui-ci revendiquait un rôle pédagogique sur les citoyens, hérité de la Révolution française. Les libéraux, qui voulaient moderniser la société, se heurtaient aux conservateurs nostalgiques de l’Ancien Régime. Le monde intellectuel, dont la réflexion était alimentée par les sciences humaines naissantes, affrontait à celui de l’industrie, qui faisait primer l’intérêt économique de la Nation sur celui de l’individu.

Enfants à la crèche / E. Ronjat.- Paris : Hachette, 1899. (Gallica bnf.fr / Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg)
Guerres scolaires

Journal pour rire.- 23 février 1850 (Arenval)

Almanach Rimmel 1878.- Lithographie en couleur.- (Collection Dutailly, Ville de Chaumont, A1238)
Les débats portaient sur des sujets très divers, comme le travail enfantin, le traitement des jeunes déviants ou la manière d’allaiter les bébés. Des discussions animées alimentaient la mise en place progressive des salles d’asile — futures écoles maternelles — et des crèches. Mais c’est surtout la question scolaire qui cristallisa l’attention durant plusieurs décennies. La loi Guizot de 1833 fut un compromis, car, tout en imposant à chaque commune de créer une école primaire, elle institutionnalisait la liberté d’enseignement, c’est à dire la possibilité, pour quiconque en possédait le titre requis, d’ouvrir une école. La Constitution de 1848 donnait raison aux républicains en instituant les principes d’obligation, de gratuité et de laïcité scolaire. Pas pour longtemps : en 1850, la bourgeoisie libérale se rapprochait du clergé et faisait voter la loi Falloux qui revenait sur la loi Carnot et qui rétablissait la liberté d’enseignement en donnant une large place à l’enseignement confessionnel. En 1870, nombreux furent ceux qui faisaient le rapprochement entre la défaite de la France et la faiblesse de ses institutions scolaires. Il faudra attendre la Troisième république pour que les lois Ferry instaurent la gratuité, l’obligation et la laïcité de l’enseignement primaire.
Nathalie Brémand