L’enfant attribut allégorique

S. Münster, édition allemande posthume de la Cosmographie (début XVIIe s.), p. 1724 : « Brasilaner mit seinem Weib und Kind » (d’après Léry, 1578) (Collection particulière)

Traité des maladies des femmes grosses, et de celles qui sont nouvellement accouchées. Dernière édition / François Mauriceau.- Paris : [chez l’auteur], 1682 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, Méd. 2393)
Une vertu théologale
La Charité est une des trois vertus théologales, avec la Foi et l’Espérance. Elle est à la fois amour pour Dieu et amour pour le prochain. Ce en quoi elle est selon l’épître aux Colossiens, citée sous le mot Caritas, « perfectionis vinculum », lien de la perfection. Et si charité bien ordonnée commence par soi-même, comme dit le proverbe, peut-être faut-il penser qu’enfanter, c’est pour la femme contribuer à rédimer – dans la douleur, cela va de soi – sa condition de fille d’Ève.

Iconologie / Cesar Ripa, Jean Baudoin.- Paris : Mathieu Guillemot, 1644 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, FAM 1411)
L’artiste peut, comme le fait Ripa, sélectionner le seul amour de Dieu, avec ce cœur « embrasé » et cette couronne de flammes pour représenter l’ardeur de son zèle. Les enfants, précise le texte, symbolisent l’innocence et la pureté. Placés debout autour de la femme et dans un mouvement dynamique qui évoque une ronde, ils connotent aussi l’harmonie que cette innocence instaure.
Charité et propagande

Emblemes, ou Devises chrestiennes / Georgette de Montenay.- La Rochelle : Jean Dinet, 1620 (Gallica bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)
Tout est accueil et bienveillance chez cette mère qui allaite son bébé, et que ses quatre autres enfants n’ont de cesse que d’escalader – regard attentif, large pli de la robe, main qui soutient…
Le tableau allégorique est environné par les prédicats qui définissent la vertu de Charité dans la première épître de Paul aux Corinthiens. La lecture se fait dans le sens habituel, depuis « patiens est » en bas à gauche, jusqu’au dernier mot en bas à droite, selon un mode d’inscription semi-circulaire qui fait pendant à la grappe d’enfants autour du personnage allégorique.
La disposition donne au cinquième prédicat, « non est fastidiosa », une place éminente. Le texte n’est pas celui de la Vulgate, qui donne « non est ambitiosa ». La leçon suivie ici est celle d’Érasme : non pas, donc, « elle n’est pas ambitieuse », mais « elle n’est pas dédaigneuse », au sens où la Charité ne dédaigne rien de ce qui peut l’orner, pas même les choses infimes.
Ce sont ces choses de peu d’importance que les enfants sont chargés de symboliser ici. Aussi l’allégorie traditionnelle peut-elle se faire une prise de position doctrinale, une expression polémique de la foi calviniste : tandis que le texte subordonne la Charité à la Foi, l’image s’en prend, implicitement, aux démonstrations de libéralité des catholiques qui escomptent acheter leur salut, non pas avec des choses de rien mais à prix d’or.
Pierre Martin