L’enfant dans les utopies de la fin du XVIIe siècle

Les textes utopiques du règne de Louis XIV accordent une place strictement définie par sa fonction politique à l’enfant. Si l’ensemble de ces œuvres, dont La Terre australe connue de Gabriel de Foigny (1676 ; Gallica), l’Histoire des Sévarambes de Denis Vairasse (1677 ; Gallica), La République des philosophes (1682 ? ; Gallica) de Fontenelle ou l’Histoire de Calejava de Claude Gilbert (1700 ; Gallica), mentionne la présence d’enfants, elles ne s’attardent ni sur les activités propres à leur âge, ni sur les liens affectifs avec leurs parents. En ce sens, les utopies du XVIIsiècle se distinguent du mouvement étudié par Philippe Ariès, pour qui cette période voit naître un sentiment de l’enfance dont les traces sont de plus en plus visibles.

Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte / Jacques-Bénigne Bossuet.- Versailles : J. A. Lebel, 1818 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, 37587)

Le monarque ou Les devoirs du souverain / Jean-François Senault.- Paris : Pierre Le Petit, 1662 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, 71485)

L’enfant joue pourtant un rôle de premier plan dans le fonctionnement du système utopique par l’attention que portent les auteurs à son éducation en tant que citoyen. Alors que, dans la réalité, les ouvrages pédagogiques sont majoritairement consacrés à l’éducation du Prince (par exemple Bossuet, La politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte (Gallica), ou Senault, Le Monarque (Gallica)), les utopies imaginent une véritable politique de l’École, qui voit en chaque enfant le réceptacle des valeurs garantes de la pérennité d’un système social conçu comme un idéal figé dans sa perfection.

De l’égalité…

L’utopie promeut l’égalité des conditions. Ce principe repose sur une rupture de l’ordre social réel : l’enfant est soustrait à ses parents et confié à l’État pour son éducation. Des structures adaptées à son âge permettent une gradation du contenu pédagogique tenant compte des capacités physiques et intellectuelles. Cette formation spartiate, qui régit notamment le temps de sommeil et la nourriture, privilégie l’utilité du futur citoyen à l’État et non l’épanouissement personnel (cf. Patricia Gauthier « L’Enfant vu par les utopistes du règne de Louis XIV », dans Regards sur l’Enfance au XVIIe siècle, actes du colloque du centre de recherches sur le XVIIe siècle européen (1600-1700), université Michel de Montaigne, Bordeaux III, 24-25  novembre 2005, édités par Anne Defrance , Denis Lopez et François-Joseph Ruggiu, Tübingen, Günter Narr Verlag, Biblio 17, 2007).

…et de l’inégalité

La Republique des philosophes, ou histoire des Ajaoiens / Bernard Le Bouyer de Fontenelle.- Genève [i. e. Amsterdam], 1768 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, FD 1539)

Dans cette perspective, la femme est au cœur du système utopique : son utilité première consiste à procréer, assurant ainsi la pérennité de l’utopie. Si les petites filles sont prises en charge par l’État au même titre que les garçons, cette

Les Avantures de Jacques Sadeur dans la decouverte et le voyage de la terre australe / Gabriel de Foigny.- Amsterdam : David Mortier, 1732 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, FD 1549)

égalité de traitement (en pays sévarambe, les femmes font leur service militaire) n’est qu’apparente. Car elles doivent avant tout favoriser leur capacité à enfanter (par des exercices physiques comme la danse, censée disposer à la génération chez les Avaïtes) et ne se détourner en rien de cette mission. Ainsi, les fillettes apprennent à lire en Ajao mais pas à écrire, savoir inutile à celles qui ne se mêleront « en aucune manière de gouverner ni de justice ».

Patricia Gauthier

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