L’enfant et le monde romain

La vie romaine était organisée en périodes bien définies, établissant le rôle et la place de l’individu dans la communauté. La classe d’âge que le français traduit par le concept unique d’« enfance » recouvre, dans le monde romain, au moins deux réalités bien distinctes, que le latin signale par les termes infantia et pueritia. De leur naissance à l’âge de sept ans, tous les enfants, sans distinction de sexe, étaient désignés par le terme générique infans, puis les garçons étaient appelés « puer » tandis que les petites filles étaient appelées puella, diminutif dérivé de puera, féminin formel de puer mais dont l’usage n’était que rarement attesté.

Des traités de pédiatrie, propos de philosophes, pédagogues ou moralistes ou encore de la documentation juridique, confrontés aux attestations littéraires et iconographiques d’infantes et pueri, émanent deux conceptions romaines de l’enfance en relatif contraste. Les enfants, dotés d’une pureté intrinsèque leur conférant une part de sacré, représentaient par nature des valeurs positives, telles que la joie, l’innocence, l’espérance en l’avenir ou l’idée d’un retour à un âge d’or. Dans les faits, cependant, l’enfance était définie par l’incapacité qu’elle induisait et désignait le groupe d’individus ne pouvant, en son état, participer à la vie civique. La place de l’enfant dans le corps social, auquel il était graduellement intégré par le biais de rites, était ainsi caractérisée par l’attente, l’observation et la préparation au passage à l’âge adulte.

Intégration progressive à la communauté

Le jour de sa naissance (dies natalis), l’enfant romain venait au monde deux fois : physiquement, lors de l’accouchement, puis symboliquement, lorsque le père de famille s’engageait, par un geste consacré consistant en le fait de soulever le nouveau-né (tollere), à l’élever et le nourrir. Admis dans la cellule familiale, l’enfant n’y était individualisé que huit jours (pour les filles) ou neuf jours (pour les garçons) plus tard, lors de son dies lustricus (jour de la purification), par l’attribution d’un nom, élément distinctif au sein du groupe.

À l’âge de sept ans, l’enfant romain quittait le statut d’infans, soit littéralement d’individu « non parlant, ne pouvant s’exprimer » : passé les septuennis (les sept premières années de la vie), les enfants qui débutaient leur apprentissage formel de la grammaire et de la rhétorique commençaient à pouvoir s’exprimer selon les mêmes codes que les adultes, étape supplémentaire de leur intégration à la communauté. Cette éducation pouvait être dispensée par des pédagogues dans un cadre privé, pour les enfants de l’ordre équestre, sénatorial et, bien sûr, de la famille impériale, ou bien, pour la majorité des autres pueri, à l’école où les classes étaient mixtes et où les petits esclaves pouvaient également être accueillis.

Devenir adulte : réalité physique, réalités juridiques

De par leur nature, statuts juridiques découlant de réalités physiologiques indéniables, l’infantia et la pueritia étaient absolument universelles – filles ou garçons, nobles ou humbles, libres ou esclaves, tous les enfants romains commençaient leur existence par ces aetates (âges) – mais composées de plusieurs groupes. La catégorie sociale et le sexe des enfants induisaient une inégale disposition à accéder à la majorité civique, exclusivement réservée aux jeunes hommes de naissance libre. À l’âge de dix-sept ans, ces derniers sortaient officiellement de la pueritia pour entrer dans l’adulescentia (à ne pas traduire littéralement par « adolescence » puisque cette classe d’âge concernait les individus âgés de dix-sept à trente ans) et, pouvant alors participer à la vie politique et militaire, entraient ainsi pleinement dans la communauté civique. Les femmes et les esclaves ne quittaient, quant à eux, jamais officiellement le statut de puer ou puella et pouvaient être désignés par ces termes, signifiant leur état d’éternels mineurs au sein de la société. Ils cessaient néanmoins d’être considérés comme des enfants à la puberté, entre douze et quatorze ans (moment des noces pour les jeunes filles libres).

La thématique de l’enfance dans l’histoire ancienne, directement héritière des gender studies, qui ont donné une impulsion à l’étude de groupes sociaux jusqu’alors négligés ou peu étudiés, a connu un regain d’intérêt ces vingt dernières années. En venant s’ajouter aux ouvrages de référence déjà existants, un certain nombre de nouveaux travaux, en se focalisant sur cette classe d’âge dorénavant considérée comme un sujet d’étude à part entière, ont véritablement contribué au renouvellement de la recherche en histoire sociale et à la connaissance générale des structures, traditions, valeurs, mœurs et mentalités de la société romaine.

Pauline Maouchi

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