L’enfant au travail dans une autre famille

Très tôt, dès six-sept ans, et jusqu’à ce qu’ils fussent en âge de se marier ou d’exercer un métier, beaucoup d’enfants étaient placés comme apprentis ou domestiques. Pour désigner cette pratique, héritée du Moyen Âge, l’historien anglais Peter Laslett a forgé le terme de life cycle servant.

Jeunes ruraux et enfants pauvres placés comme domestiques

Cornelis Visscher (d’après Pieter van Laer).- 1650-1660.- Gravure sur cuivre (© The Trustees of the British Museum)

Twelve landscapes on hills / Francesco Bartolozzi.- 1762.- Gravure sur cuivre.- (© The Trustees of the British Museum)

Les petits ruraux les moins dépaysés quittaient temporairement leur famille pour celle d’un autre paysan, parent ou ami, d’une paroisse voisine. Aux plus jeunes, on confiait la garde des bêtes, aux plus âgés le maniement de la houe, la bêche ou la charrue. Les filles, pour constituer leur dot, devaient souvent servir en ville. Au milieu du XIXsiècle, Londres comptait plus de cent vingt mille petits domestiques. En France, au début du XXsiècle, on rencontrait encore couramment des enfants ainsi employés, spécialement de jeunes servantes venues de la campagne.

L’enfant était censé contribuer dès que possible à la subsistance familiale, par son travail au sein de la maisonnée ou/puis par l’apport de revenus complémentaires gagnés ailleurs. Se délester d’une bouche à nourrir constituait sans doute la raison première de bien des placements. Certains s’apparentaient à de l’abandon, voire de la vente. Le placement était aussi conçu comme un apprentissage des dures réalités de la vie, des futures tâches de l’enfant. On a émis l’hypothèse que des parents pouvaient chercher à se décharger sur autrui d’un rôle ardu, surtout au moment de l’adolescence, ou vouloir empêcher la tentation de l’inceste dans les familles où un des deux n’était pas le parent biologique, quitte à créer des risques d’abus ailleurs.

Les devoirs des maîtres et des domestiques / Claude Fleury.- Amsterdam : P. Savouret, 1688 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, FAP 3118)

L’accueil réservé sur place était en effet très variable (selon les liens entre les deux familles notamment). Les conditions de vie, de travail des enfants n’étaient cependant pas nécessairement plus difficiles que celles connues précédemment ou celles qu’ils auraient connues s’ils étaient restés chez eux. On n’hésitait pas, par exemple, à battre les enfants, et pas seulement les petits domestiques.

Des enfants ayant fui leur propre famille, en particulier recomposée, se retrouvaient parfois engagés comme domestiques, éventuellement après avoir erré, en bandes.

Des nourrissons remis aux hospices, donc abandonnés par leurs propres parents, restaient quelquefois plus longtemps, voire définitivement, du moins pour les rares survivants, à la campagne, dans leur famille nourricière. Lorsqu’ils étaient en âge, ils aidaient celle-ci dans son labeur. D’autres étaient confiés à des agriculteurs après un premier retour au sein de l’institution. Les filles recueillies étaient fréquemment proposées comme servantes.

Il convient de mentionner un cas plus à part, les esclaves, présents en Italie, en Espagne, encore au XVIIIsiècle. Dans la Florence du XVsiècle, où l’on importait majoritairement de jeunes esclaves de sexe féminin, l’enfant héritait de la condition du père. Les enfants d’esclaves, généralement conçus avec le maître, un membre de sa famille ou un ami de celle-ci, alimentaient donc les hospices, quand ils n’avaient pas subi pire sort. Dans la péninsule ibérique, où ils héritaient du statut de la mère, ils étaient conservés comme esclaves par le maître ou vendus.

Ateliers, boutiques et apprentis

Recueil de planches, sur les sciences, les arts libéraux et les arts méchaniques. Huitieme livraison, ou neuvieme volume.- Paris : Briasson, 1771 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, Folio 2017-30)

L’apprentissage faisait l’objet d’un contrat écrit. Les stipulations en étaient variables suivant les métiers, les corporations, qui en France fixèrent les règles jusqu’à la Révolution, où elles furent supprimées. L’apprenti était nourri, logé, blanchi. Généralement âgé d’une petite dizaine d’années, il s’engageait pour une durée allant de deux à dix ans (pour les orfèvres). Il devait être alphabétisé ou apprenait alors à lire, compter, parfois écrire. Au maître était transférée l’autorité paternelle. Il était chargé de dispenser une formation professionnelle, éventuellement initiée par le père, mais aussi une instruction morale et religieuse. L’apprentissage était souvent payant. Quand l’enfant était instruit gratuitement (cas surtout des orphelins, abandonnés), on en attendait davantage. Il s’engageait pour plus longtemps et la différence avec un domestique était moins nette. L’apprentissage concernait essentiellement les garçons, même si dans le secteur textile (fabrication comme vente) on rencontrait des fillettes, issues notamment des hôpitaux. L’apprenti était payé (un peu) ou pas. Tous n’avaient pas l’espoir de devenir compagnons, puis maîtres, de pouvoir s’installer à leur compte.

La protection légale des enfants occupés hors de l’industrie. III, La situation des enfants en France / Association nationale française pour la protection légale des travailleurs.- Paris : F. Alcan, 1906 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, FD sup 70/03)

Les apprentis constituaient parfois une part non négligeable du personnel. Certains en usaient comme de simples manœuvres, sans leur apprendre aucunement le métier, exploitant cette force de travail gratuite, ou peu chère, et réputée docile. Même avec l’industrialisation, nombreux étaient les apprentis dans les boutiques, les petits ateliers familiaux. Ils n’étaient pas forcément mieux lotis que dans les grandes fabriques. Moins visibles, ils suscitèrent plus tardivement des réglementations, pas forcément appliquées. Le travail enfantin n’était nullement remis en cause. C’est l’allongement et la systématisation, imposée, de la scolarisation qui firent considérablement diminuer celui-ci à la fin du XIXsiècle. En France, l’école primaire fut rendue obligatoire et gratuite avec les lois de 1881 et 1882 portées par Jules Ferry. La scolarité jusqu’à seize ans ne devint elle obligatoire qu’en 1959.

Pages et demoiselles d’honneur

Opuscules / Claude Fleury.- Nîmes : P. Beaume, 1780 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, 81232)

À l’époque moderne, comme au Moyen Âge, de jeunes nobles furent envoyés en service à la cour ou dans une autre famille, éventuellement à l’étranger. Remplissant une fonction d’apparat, ils apprenaient, par imprégnation, leur futur rôle et les manières indispensables à leur rang. Cette pratique, créant ou renforçant des liens de clientèle, était censée assurer à l’enfant un meilleur avenir.

Les fillettes s’appliquaient à devenir de parfaites maîtresses de maison. Leur placement fut particulièrement prisé en Angleterre, aux XVIe et XVIIsiècles, par la noblesse et même la bourgeoisie.

Les pages, à l’origine apprentis du métier des armes, servaient à table, faisaient escorte, distrayaient les enfants de la famille. Ils en partageaient les jeux, l’éducation. Ils pouvaient être employés à des tâches militaires, diplomatiques, être utilisés comme espions. En France, au début du XVIIe siècle, les plus grands en possédaient jusqu’à trente. Devenir page était un honneur même si certains leur reprochaient de s’accoutumer surtout à mener une vie dissolue. Dans son autobiographie romancée, Le page disgrâcié, Tristan L’Hermite (1601-1655), page à cinq ans, se présente comme plus occupé à s’amuser qu’à s’instruire. Un séjour, de plus en plus prolongé, au collège, le passage par une académie au XVIIsiècle, une école militaire au XVIIIsiècle concurrencèrent cette méthode d’enseignement « sur le tas ».

Stéphanie Daude

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