Le souvenir d’enfance dans la littérature du XVIIIe au XIXe siècle
La fin du XVIIIe siècle marqua une rupture dans la manière de raconter son enfance et l’acteur principal de cette mutation fut Jean-Jacques Rousseau : en décidant de consacrer une part de ses Confessions au récit de ses premières années de vie, il inaugura un genre nouveau qui se formalisera ensuite dans l’autobiographie.
Des mémoires aux confessions

Oeuvres complettes. Nouvelle édition / Jean-Jacques Rousseau.– Paris : Bélin, Caille, Grégoire, Volland, 1793 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, Jp 419)
Le titre de l’ouvrage annonçait une entreprise de vérité de son auteur sur son passé, mais aussi sur l’homme qu’il était au moment de la rédaction. L’évocation de l’enfance n’avait pas dans cette ouvrage pour objectif de justifier le destin de l’adulte ; l’enfant passé était pris pour objet même de la recherche de la vérité parce qu’il était déjà une personne. Il était présenté comme déjà animé d’affection, d’intelligence, de culpabilité, de désirs ambigus. La narration nous livre les découvertes de l’enfant telles qu’il les a vécues et parfois imaginées. Le regard de Rousseau sur son enfance était un miroir des conceptions pédagogiques qu’il développait dans d’autres ouvrages. Pour lui, l’enfant était naturellement bon, comme les premiers hommes, mais la coercition l’entraînait dans la méchanceté. Face à la violence des adultes, l’espace de liberté qui restait à l’enfant était la littérature ; ce qui émergeait au fil du texte, c’était la mise en cohérence d’une existence de Jean-Jacques enfant puis jeune homme autour de la lecture et de l’écriture.
Des autobiographies ou des autofictions
A la suite de Rousseau, d’autres, se référant à lui, firent œuvre d’autobiographie. Casanova ou Chateaubriand écrivirent des récits dont la source première était le souvenir et notamment le souvenir d’enfance. Ils y rappelaient leurs premiers attachements, leurs révoltes, leurs terreurs, leurs premiers désirs. Mais chaque récit procédait à un tri souvent en lien avec une entreprise philosophique ou idéologique, franchissement des interdits chez l’un, nostalgie du passé chez l’autre.
Matériaux de fiction
Mais le souvenir d’enfance devint également, au delà de l’écriture autobiographique, un matériau pour l’écriture fictionnelle ou poétique. Des œuvres, aussi variées dans la forme que dans le propos, puisèrent dans la vie même de leurs auteurs leur matière, de manière plus ou moins revendiquée : Victor Hugo écrivit en 1830 un poème intitulé « Souvenir d’enfance » dans lequel il racontait la pompe d’un défilé napoléonien ; la comtesse de Ségur annonça dans sa dédicace des Malheurs de Sophie qu’elle y racontait des épisodes de sa vie ; dans le recueil Éloges, le poète Saint-John Perse enveloppa de son écriture poétique les souvenirs de sa vie antillaise avant ses dix-sept ans ; enfin Marcel Proust a construit le jeune Marcel, narrateur de la Recherche du temps perdu, assez proche de ce qu’il fut pour qu’on se posât la question de l’autobiographie sous le travail romanesque.
Le souvenir d’enfance dans les écrits de la fin du XVIIIe au XIXe siècle sortit du topos littéraire et du stéréotype pour devenir un sujet de recherche littéraire à part entière. Il devint la première partie du genre autobiographique en création, mais ouvrit aussi à une grande richesse d’expériences littéraires.
Benoît Traineau