L’enfant vu par un précepteur du XVIIe siècle, Fénelon

De l’education des filles / François de Salignac de La Mothe-Fenelon.- Amsterdam ; Leipzig : Arkstée & Merkus, 1754 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, FAP 3063)

Education des filles / François de Salignac de La Mothe-Fenelon.- Paris: Pierre Aubouin, Pierre Emery et Charles Clousier, 1687 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, FAP 3062)
Il faut distinguer dans l’œuvre pédagogique de Fénelon (1651-1715) le traité De l’Éducation des filles (1687), à destination privée et publié deux ans avant son accession aux fonctions de précepteur du duc de Bourgogne qui, elles, l’amenèrent à composer des ouvrages dans la tradition des éducations princières, notamment les Fables, les Dialogues des morts et les Aventures de Télémaque (1699). Malgré cette différence de perspective, des points communs unissent ces textes au-delà du fonds chrétien attendu d’un homme d’Église, notamment l’idée qu’il faut « rend[re] l’étude agréable » et que « tout ce qui réjouit l’imagination [la] facilite » (De l’Éducation des filles). Aussi le plaisir du récit joue-t-il un rôle primordial dans l’apprentissage afin de développer le goût de l’Histoire Sainte et d’éveiller la curiosité pour les choses sérieuses qu’on y présente sous des dehors ludiques. Plus généralement, Fénelon recommande au pédagogue douceur et patience, nécessaires pour donner forme à un être en devenir, perçu comme inachevé.
Lécher son ourson

Die seltsame Begebenheiten des Telemach / François de Salignac de La Mothe-Fenelon.- Francfort-sur-le-Main ; Leipzig : Peter Conrad Monath, 1749 Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, FAP 3760)
La métaphore de l’ourse léchant son petit (cf. la fable « La patience et l’éducation corrigent bien des défauts ») éclaire la conception courante au XVIIe siècle partagée par Fénelon : le cerveau de l’enfant est mou et progresse lentement vers la raison, qu’il atteint vers 7 ans. L’apprentissage passe par l’imitation. Il convient donc d’avoir de bons modèles : parents, précepteurs et gouvernantes doivent être exemplaires, notamment pour les filles, réputées plus fragiles en raison de leur « imagination errante » et d’un « désir violent de plaire » qui les rendrait « artificieuses » sans le secours de l’éducation (De l’Éducation des filles ; cf. Patricia Touboul, « Le statut des femmes : nature et condition sociale dans le traité De l’Éducation des filles de Fénelon », dans Revue d’histoire littéraire de la France, t. 104, 2004). Dans le Télémaque, la nécessité d’un guide est métaphorisée par le personnage de Mentor, avatar d’Athéna et incarnation de la sagesse indispensable à un futur roi. Télémaque lui-même est un adolescent dont Fénelon imagine les mauvais penchants pour en dénoncer la perversité, mais aussi évoquer leur possible maîtrise : en proie à la passion amoureuse qui amollit sa détermination à retrouver son père, il a bien du mal à quitter Calypso, mais y parvient sous l’impulsion de Mentor.

Les avantures de Telemaque / François de Salignac de La Mothe-Fenelon.- Paris : Debure, 1763 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, FAP 3757)
Garçons et filles

Les avantures de Telemaque. Troisieme edition / François de Salignac de La Mothe-Fenelon.- Paris : veuve Delaulne, 1729 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, FAP 3756)
Fénelon reprend les idées dominantes de son temps et assigne une place spécifique à chaque sexe. L’éducation doit d’abord être utile et conforter le modèle social existant, lui-même entérinant l’idée d’une infériorité physique et intellectuelle féminine. Le sort des filles est mesuré à l’aune d’un idéal masculin par rapport auquel elles se positionnent. Rien ne doit « excéder leur condition », sexe et rang confondus. Elles sont d’abord formées aux tâches domestiques et si elles ont la possibilité d’acquérir des rudiments d’arithmétique et de droit, utiles dans la gestion d’une maison, il faut « empêcher l[es] femme[s] de se passionner sur les affaires » (De l’Éducation des filles). Antiope, dans le Télémaque, illustre cet idéal de jeune fille apte à tenir le domestique avec toute la mesure requise. A Télémaque reviendront les épreuves qui forgeront un bon monarque quand viendra son tour de régner : domination des passions, maîtrise de soi, exercices du corps développant force et courage au combat, exercices de l’esprit forgé sur l’action de Mentor en vue de mettre en œuvre une bonne politique.
Patricia Gauthier