La mise en nourrice à l’époque moderne

Une pratique courante

Aux XVIe et XVIIsiècles, la mise en nourrice était avant tout une pratique bourgeoise ; elle se diffusa au XVIIIsiècle. Le prix de la pension était souvent trop élevé pour les classes populaires ; mais, dans certains métiers, comme celui d’ouvrier en soie à Lyon, la femme devait travailler sans son enfant, qui était alors confié à une nourrice.

Dans les familles riches ou aisées, pour qui les frais d’une nourrice à domicile (pour les nobles et les grands bourgeois) ou à la campagne (pour le reste de la bourgeoisie), ne présentaient aucune difficulté, il était considéré comme bienséant d’en avoir une. De plus, on pensait qu’un fœtus conçu pendant l’allaitement en souffrirait et que les relations sexuelles corrompaient le lait ; pour ne pas s’obliger à subir une continence douloureuse, les époux souhaitaient engager une nourrice… Enfin, dans les classes sociales les plus aisées, les obligations mondaines et la présence à la Cour occupaient beaucoup de temps et n’en laissaient guère pour les enfants.

La forte mortalité des enfants

A Paris, pour trouver une nourrice, on passait le plus souvent par des bureaux de recommanderesses. Nombreuses étaient les femmes intéressées pour cet emploi : elles sevraient leur enfant dès 7 mois ou se faisaient embaucher après la mort de celui-ci. Un meneur les accompagnait à Paris, d’où elles repartaient avec le nourrisson âgé de quelques jours, qui mourait souvent en route.

Dissertation sur les avantages de l’allaitement des enfants par leurs mères / M. Landais.- Genève ; Paris : Méquignon l’aîné, 1781 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, 71491/1)

La mise en nourrice doublait la mortalité des familles urbaines. En effet, les nourrices étaient le plus souvent négligentes, elles surveillaient peu les petits et beaucoup ne faisaient ce métier que par appât du gain, sans s’attacher aux enfants. Si les nourrices étaient sans scrupules, les parents avaient aussi leur part de responsabilité dans la mort des enfants mis en nourrice, que ce soit par ignorance ou par négligence ; les petits rouennais ou lyonnais étaient souvent assez proches géographiquement de leurs parents pour que ceux-ci leur rendissent visite ; ce n’était pas le cas des parisiens.
Les autorités étaient également coupables. Certes, les curés des villages surveillaient en principe les nourrices et les meneurs devaient rendre des comptes au bureau des recommanderesses ; mais ces mesures n’étaient pas suffisantes.

Une réhabilitation temporaire de l’allaitement maternel

Déjà au XVIsiècle, des médecins conseillaient l’allaitement maternel. Mais on considérait que la mortalité des enfants chez les nourrices était dans l’ordre des choses et les parents, hommes ou femmes, ne semblaient pas s’attacher à leurs bébés, qui étaient confiés très tôt aux nourrices.  Des voix s’élevèrent dès la fin du XVIIsiècle contre l’allaitement mercenaire, mais c’est vers 1760 qu’elles se firent vraiment entendre. Rousseau soulignait qu’une femme ne devenait vraiment mère que si elle nourrissait son enfant. On conseillait également de donner son propre lait à son enfant, pour être certain de sa qualité. On prit alors également conscience de l’hécatombe que représentait la mise en nourrice.

Cette campagne de réhabilitation de l’allaitement maternel remporta du succès. Il devint plus courant de garder son enfant auprès de soi et de le nourrir ; mais cette mode, qui n’avait pas touché les milieux populaires, ne dura pas…

Anne-Sophie Traineau-Durozoy

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