Vanités

Hieroglyphica / Giovan Pietro Pierio Valeriano.- Lyon : Paul Frellon, 1610 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, RAg 9)

L’association d’un enfant et d’un vieillard signifie le cours de la vie. Il y avait ainsi, rapporte Plutarque, dans le temple que la ville de Saïs avait consacré à Pallas, une frise hiéroglyphique qui, au moyen des motifs du vautour, du poisson et de l’hippopotame, figurait la fragilité de la condition humaine, et ce, comme le précisait au préalable la succession des deux hiéroglyphes de l’enfant et du vieillard, depuis la naissance jusqu’à la mort.

Précarité de la vie de l’homme

Nucleus emblematum selectissimorum / Gabriel Rollenhagen.- Cologne, [1611] (Collection particulière)

L’iconographie du XVIIsiècle popularise une représentation symbolique beaucoup plus frappante de cette même idée, en confrontant l’image d’un enfant et celle d’une tête de mort, symbole de la brièveté de notre vie. Le motif gagne encore en expressivité lorsque le bambin, coude appuyé sur l’objet macabre dans une pose mélancolique, prend lui-même en charge la méditation : « Finis ab origine pendet », lit-on dans le pourtour du médaillon – notre fin est inscrite dès notre origine.

Thesaurus anatomicus tertius / Frederik Ruysch.- Amsterdam : Hendrik Janssonius Van Waesberge, 1724 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, 70926-02-04)

L’enfant est donc apte à entrer en composition dans ce que la tradition picturale appelle une Vanité. Voyez cette planche dépliante qui représente une montagne de calculs humains, monument dressé à la souffrance. L’assemblage est consolidé par des vaisseaux sanguins que le docteur Ruysch a injectés de cire liquide bien rouge, désormais solidifiée. Chacun des cinq squelettes de fœtus installés dans des postures doloristes parmi ce paysage insolite et aride était accompagné d’un écriteau : une citation explicitait le sentiment douloureux de la précarité de la condition humaine. Ainsi, le squelette qui gît au premier plan, tête posée sur un redoutable calcul rénal (grandeur nature !), tient un de ces insectes que l’on appelle Éphémère, tandis que l’inscription latine reproduisait ces mots désabusés de Plaute : « Comme l’herbe poussée après le solstice, j’ai fleuri un bref moment… »

Inconstance, inconsistance

Junius Hadrianus Les emblesmes

Les emblesmes / Hadrianus Junius.- Anvers : Christophe Plantin, 1567 (French emblems at Glasgow)

Une des expressions les plus prisées de la vanité consiste à figurer l’enfant qui joue à faire des bulles de savon, ces sphères chatoyantes qui éclatent au moindre obstacle ou se dissipent sitôt formées.

Morosophie / Guillaume de la Perrière.- Lyon : Macé Bonhomme, 1553 (French emblems at Glasgow)

Mais par l’intermédiaire des thèmes du jeu et du vent à la fois, la vanité dont il est alors question renvoie également à la futilité et à l’inconstance de cet âge. Ce en quoi la Renaissance, héritière peu critique de siècles de misogynie, n’hésite pas à faire de la femme l’égale de l’enfant. Inconstante comme la lune, qui régit ses cycles physiologiques, ou comme l’écrevisse, qui progresse à reculons, elle pourrait aussi bien tenir le jouet rudimentaire que l’enfant fait tourner au vent, comme un symbole de sa propre inanité.

Morosophie / Guillaume de la Perrière.- Lyon : Macé Bonhomme, 1553 (French emblems at Glasgow)

De l’inconsistance à l’ambivalence : nous voici à nouveau devant une représentation de la condition humaine, qu’une femme bifrons vient symboliser. Côté gauche, elle incarne la mort, frappant de verges trois vieillards à terre – ceux-là même que, à droite, elle arrosait, enfants, de son lait généreux.

Pierre Martin

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